L'ETA, une organisation traquée et très affaiblie
Jean-Pierre Massias, professeur de droit à l’université de Clermont-Ferrand I et spécialiste de la question basque, rappelle qu’il y a déjà eu plusieurs accrochages musclés entre des militants de l’ETA et la police française, mais jamais de mort avant celui de mardi soir. «C’est une évolution importante. La question est de savoir si elle est voulue – les militants auraient reçu la consigne de répliquer avec leurs armes – ou s’il s’agit seulement d’un membre du commando qui a cédé à la panique», s’interroge le professeur. Pour Jean Chalvidant, chercheur à l’institut de criminologie (Panthéon-Assas), «soit il y avait un gros poisson parmi eux et l’ordre avait été donné de le protéger à tout prix», soit l’un des etarras a paniqué. Une hypothèse très recevable au vu de la façon qu’à désormais l’organisation de former ses militants.
La formation des etarras en question
Avec l’arrestation des «chefs historiques» et la traque continue, l’ETA est obligée de recruter des militants très jeunes, souvent habitués aux violences de rue (kalle borroka en basque), et très peu formés, donc susceptibles d’agir de façon impulsive. «Dans les années 1970-1980 les militants recrutés étaient plus âgés», explique Jean Chalvidant. «Ils avaient un entraînement long et poussé au maniement des armes et à la vie clandestine.» Aujourd’hui, l’ETA a encore un berceau de recrutement assez important quantitativement, mais pas forcément qualitativement.
Une organisation en roue libre...
Pour Jean-Pierre Massias, l’attentat est «assez surprenant». Au niveau de la stratégie, il ne voit «aucun intérêt pour l’ETA à engager un processus de violence contre l’Etat français, alors qu’en parallèle Batasuna négocie une sortie de crise sans violence au pays basque espagnol». Le mode opératoire pose aussi question: «Il est différent de la formation type des commandos ETA, constituée traditionnellement de 3 personnes.» Jean Chalvidant abonde: «Un convoi de 5 véhicules est tout à fait inhabituel.» Il souligne également que «pas un attentat n’a été commis depuis août dernier, alors que la police continue à rafler les membres de l’organisation. Or, ETA n’a pas pour habitude de voir ses camarades tomber sans réagir. C’est peut-être le signe d’un affaiblissement très important.»
...Et en perte de vitesse
Les etarras sont dans une situation très difficile. Rien qu’en 2010, une trentaine de militants – surtout des chefs – ont été arrêtés en Espagne mais aussi en France. Sans compter que ses relais sociaux en Espagne ont été interdits (Batasuna, la branche politique, Segi, organisation de jeunes radicaux considérée comme responsable des actions de kalle borroka).
Autre problème: une pression policière très forte, marquée notamment par la coopération franco-espagnole, très performante en matière de lutte anti-ETA, souligne Jean-Pierre Massias. Jean Chalvidant renchérit: «La traque policière s’est accélérée en Espagne et en France. Depuis janvier, un membre d’ETA est arrêté tous les 2 jours. Il y a 800 etarras en prison en Espagne, 150 en France.»
Dispersée dans l'ensemble de la France
La France a toujours été considérée comme une zone de repli, un sanctuaire pour l’organisation, notamment dans des régions «tranquilles». Mais «avec l’accélération de la traque, la notion de base arrière a changé. Les quelque 150 à 200 etarras se sont éclatés sur l’ensemble du territoire», indique Jean Chalvidant. «Qu’il y en ait en région parisienne, dans une grande métropole anonyme, n’est pas non plus étonnant. On s’y cache très facilement.»
Une violence propagée à la France
L'affaire de Dammarie-Les-Lys en est une preuve supplémentaire, selon Jean-Pierre Massias, qui rappelle d’autres affaires récentes impliquant des membres de l’ETA, comme celle du cadavre du militant d’ETA Jon Anza retrouvé à Toulouse ce mois-ci. Et de conclure: «Il faut faire attention à ce que ce conflit ne vienne pas s’exprimer sur le territoire français. Mais, si c’était le cas, cela ne ferait qu’augmenter le besoin d’un règlement politique.»